28 giu 2010

LA CULTURE DU CHATAIGNIER EN ITALIE ET EN EUROPE


Par Elvio BELLINI Département d’Hortoflorofruticulture de l’Université de Florence & Académie des Georgofili Florence (Italie)






Le châtaignier du passé au présent

Le châtaignier européen appartient à l’espèce sativa (Miller) (= vulgaris (Lam.) = vesca (Gaertn.) = castanea (Karst.)). L’évolution taxonomique reflète ainsi toute l’histoire du châtaignier et de son rapport à l’homme : vulgaris en indique le caractère populaire, vesca vient d’un verbe se référant à l’action de se nourrir, sativa de prendre soin de soi-même. L’aire d’origine du châtaignier est comprise entre le Caucase et l’Arménie. A travers leurs activités commerciales, les Phéniciens firent connaître le fruit à tous les peuples avec lesquels ils entrèrent en contact et ceux-ci entreprirent bien sûr de reproduire cet arbre par voie de semence, contribuant à enrichir sa variabilité génétique. Les Grecs en diffusèrent la culture dans toute l’aire méditerranéenne. Il faut savoir que dès l’époque mycénienne, ils avaient appris à le cultiver, à le greffer, à sélectionner de nouvelles variétés, à se nourrir de ses fruits frais, à les déssécher pour en faire de la farine et des soupes, mais aussi à utiliser les troncs gros et petits et à en travailler le bois. Sous la domination romaine, le châtaignier commence à être diffusé dans toutes les aires où sa culture est possible et l’intérêt des historiens et des naturalistes croît fortement.

Columelle en parle une première fois dans le chapitre consacré à la vigne (Adua, 1999) par rapport à l’utilisation de rejets comme tuteurs et, plus loin, donne la période optimale pour les planter. Dans son livre XII, Pline l’Ancien nous a laissé des pages étonnantes sur les arbres de la forêt, rappelant, sur le ton de la polémique contre la mode régnant alors de se parer de métaux précieux et d’ivoire, que les dieux préfèraient les plantes et leurs fruits. Les Romains ne surent pas apprécier tout de suite les qualités des châtaignes et même un grand naturaliste comme Pline a commis quelques méprises.

Avec les invasions barbares commence un lent déclin, interrompu par le Moyen Âge, qui restera dans l’histoire comme “l’âge du bois”.

La forêt commencera à occuper une place importante dans la vie de l’homme au moment que le chêne se met à dominer les peuplements ; le châtaignier se pose alors comme son antagoniste par excellence et devient à son tour dominant à partir du bas Moyen Âge lorsque le roi lombard Rotari, par un édit de 643, le compte au nombre des arbres à protéger et que le “Capitularis de villis” en recommande la diffusion (Montanari, 1979).

Devenu symbole de survie pour les populations pauvres du Moyen Âge, les techniques de sa culture se précisent et celles de conservation de ses fruits s’améliorent.
On redécouvre les principes de culture de Columelle, selon qui le meilleur engrais du châtaignier est encore la serpette au moyen de laquelle on taille les surgeons. Le recours au gaulage se propage et les clèdes (ou seccadous, locaux propres au travail et à la dessication des châtaignes) surgissent. Au XVIIIe siècle - alors que l’Angleterre connaît la révolution industrielle - l’Italie agricole des états et micro-états absolutistes dépend encore de la châtaigne pour la survie des populations les plus déshéritées et sa culture, abandonnant les zones les moins propices, se développe pour l’essentiel en Toscane, Piémont, Campanie, Calabre et dans les îles.

La survie d’une grande partie de la population des montagnes et des collines dépend alors du châtaignier et de ses produits, au point de déterminer une véritable civilisation du châtaignier, pierre angulaire de ce qui a été défini comme l’internationale de la pauvreté et du châtaignier. La civilisation du châtaignier devient un ensemble d’usages, d’habitudes, de commerces et cette plante majestueuse suscite la création d’un secteur d’activités mêlées de paysans, cueilleurs, forestiers, charpentiers, menuisiers, charbonniers et petits industriels divers (Adua, 2000).

Au XIXe siècle, le châtaignier fournit de la matière première à l’industrie sous forme de bois d’oeuvre, de combustible, de charbon, etc., mais toujours, et malgré tous les efforts des agronomes et des botanistes, l’opinion scientifique prédominante continue à considérer cette importante fagacée comme l’arbre de la faim et ses fruits comme étant bons pour les pauvres et les animaux. Ce n’était pas le cas partout car dès le XVIIe siècle, la France avait commencé à importer nos marrons pour nous les restituer sous forme de “marrons glacés”. En Italie, la châtaigne continuera d’être l’aliment du pauvre auquel seule la fantaisie des cuisinières apporte quelque dignité culinaire en les transformant en soupes, flans, desserts, etc.

En passant d’une crise économique à l’autre, par la réorganisation foncière consécutive à la privatisation des biens ecclésiastiques de la fin du XVIIIe siècle, l’application des décrets Murat de 1804 et 1806 qui mettent un point final au féodalisme, la diminution des taxes sur les céréales de 1887 et la bataille du blé à l’époque fasciste, le châtaignier commence un lent déclin en Italie. Il se trouve aussi confronté à des phénomènes nouveaux : évolution vers des monocultures plus rentables, usines toujours plus gourmandes en carbone, forte consommation de bois de chauffage, industrie naissante du tannin, tous allant de pair avec la révolution technologique et une tendance dominante à considérer la forêt comme une réserve à consommer.

Nonobstant événements historiques et mutations culturelles, on estime en 1896 que le châtaignier occupe 400.000 ha en Italie avec une production annuelle de 160 000 t. Cette estimation est très certainement inférieure à la réalité puisqu’il représentera 800'000 ha de fûtaie et de taillis au début du XXe siècle, figurant au second rang après la vigne en termes de diffusion, avec une production dépassant les 800 000 t. et même un pic de 1.2 million de t. en 1911 !

L’histoire entre en scène à nouveau puisque les grands flux migratoires commencent dès le début du XXe siècle. Les pauvres vont alors traverser les océans, certains pour s’enrichir, beaucoup pour mourir de misère tandis que gros propriétaires et spéculateurs se lancent à l’attaque de la châtaigneraie. Le châtaignier, abandonné désormais par l’homme, tombe malade. La maladie de l’encre et le chancre cortical font des ravages parmi les arbres. Mais le vrai mal du châtaignier tient à la rupture du lien entre l’homme et la plante. Ayant appris à connaître d’autres formes d’alimentation, l’homme se détourne complètement de ce qui lui rappelle une misère dont il pense s’être libéré. Pourtant, la pauvreté le guette encore et pendant l’époque fasciste, les guerres coloniales et le seconde guerre mondiale, le châtaignier redeviendra l’arbre à pain des pauvres (Bellini, 2006).

En Italie, le châtaignier occupe plus de 10 % de la superficie boisée nationale, dont seuls 3 % sont intéressés par la castagniculture fruitière pour une production annuelle moyenne proche de 60'000 t. A l’heure actuelle on enregistre heureusement un regain d’intérêt pour le châtaignier, une inversion de tendance amenant à valoriser les ressources économiques (fruit et bois), paysagères et touristico-récréatives de le châtaigneraie, sans oublier le rôle de protection des sols et de prévention des feux de forêts que son utilisation optimale peut garantir.

Clikka per il museo Agropolis, cultura del castagno